Judith Schalansky : Atlas des îles abandonnées, 1ère édition en allemand Mare Verlag, 2009 pour les quatre rééditions en français (2010-2017), Flammarion, 144 p. Prix du plus beau livre allemand en 2009.
Pour prolonger les vacances, ce compte-rendu d’un livre paru il y a déjà quelques années mais qui est toujours fascinant. « J’ai grandi avec les Atlas…Je sais pertinemment que Nairobi et Los Angeles existent dans la réalité…Mais qu’on puisse réellement y être allé, voir y être venu au monde, ne cesse de me stupéfier.». Qui d’entre nous n’a pas rêvé de pays lointains, inaccessibles voire irréels ? Et qu’y-a-t-il de plus irréel que des îles abandonnées ?
Il ne s’agit pas ici des grandes îles, de Madagascar, de Tahiti ou des îles britanniques. Il s’agit des îles du bout du monde, mal connues, à l’histoire confuse, souvent tragique, d’îles qui semblent hors du temps. L’exergue qui ouvre l’ouvrage, « Le paradis est une île, l’enfer aussi », résume bien le propos. Qui pense à une île, pense à la beauté des paysages, aux cocotiers, au sable fin, au charme de ses populations accueillantes proches de « l’état de nature ». Mais la réalité est parfois plus magique, ou plus maléfique.
La découverte des îles fait partie de l’histoire des Grandes découvertes, de l’expansion des Européens dans le monde à partir du seizième siècle. Ces îles existaient bien avant que l’explorateur ne débarque de sa caravelle et les peuples qui y vivaient ne se sentaient pas « du bout du monde ». Les habitants des îles de Pâques ne nommaient-ils pas leur territoire « le nombril du monde » ? Mais l’Européen a besoin de laisser son empreinte et rebaptise la terre, « …chaque carte est ainsi le résultat et l’exercice de la puissance coloniale ». Alors ces îles sont recensées sur les planisphères selon le calendrier chrétien, îles Christmas, îles de Pâques, ou d’après le nom de son « découvreur », Diego Garcia, Clipperton, ou des princes et rois d’Europe, Pierre 1er, Rodolphe…Il arrive que l’île conserve son nom, peut-être voulait-on lui garder son caractère exotique ? Parfois la littérature fait irruption : les Chiliens baptisent une île du nom d’un héros de roman, Robinson Crusoé ; des curieux s’acharnent à retrouver une île sortie de l’imagination d’un auteur allemand du dix-huitième siècle, Johan Gottfried, île où se réalisait une utopie communiste…
Car l’île fantasmée des Européens est perçue comme un lieu paradisiaque, un lieu de tous les possibles, où l’on peut échapper aux contraintes du mode de vie occidental, réaliser tous les rêves. A Pukapuka les Européens fondent une société « harmonieuse » aux mœurs très libres.
Mais ces expériences tournent court le plus souvent et s’achèvent tragiquement tant la folie des hommes fait parfois de ces territoires, un enfer : Pitcairn où la promiscuité encouragea la pédophilie, Floreana dans l’archipel des Galapagos où « la comédie vire soudain au polar ».
Parfois, ce n’est pas tant la folie des hommes que les conditions naturelles qui font de ces territoires des îles maudites : Tikopia, où les ressources limitées imposent aux habitants un contrôle de la natalité tragique, Clipperton, désertique, où une garnison oubliée sombre dans la folie, îles de Pâques où les autochtones ont détruit toute possibilité de vie.
Car les îles peuvent être aussi des lieux de désolation, îles où « il n’y a rien », telles les îles Rodolphe ou Pierre 1er. Iles prison, telles Sainte Hélène ou Norfolk, îles des expériences atomiques, Fangatanfa…
Mais les îles ne sont pas toujours si isolées. Elles sont parfois au centre des communications mondiales : l’île désolée d’Ascension devenue une station-relais pour les câbles qui sillonnent l’atlantique, une base de la NASA et un nid d’espions ; Diego Garcia, base militaire britannique dont les habitant ont été déportés ; Annobo qui fut le paradis des radios-amateurs…
Alors, on comprend mieux le titre : « Atlas des îles abandonnées ». Découvertes et abandonnées car sans intérêt stratégique ni ressources. Iles, parfois, qui suscitent la convoitise des militaires qui en déportent les populations.
Très beau livre qui doit aussi à l’auteur une belle mise en page et des illustrations, sobres en harmonie avec l’atmosphère mélancolique du texte.