Un parfum de menthe est un roman à trois voix : à travers les souvenirs du père, de la mère puis de leur fille, on voit se dessiner le Maroc de la seconde moitié du vingtième siècle, demi-siècle illustré par l’euphorie des premières années de l’indépendance, par la joie de vivre des sixties au cours desquelles les plus aisés, les plus instruits ont cru au progrès économique et à une modernisation rapide du pays sur le modèle occidental, puis par le désenchantement des décennies suivantes.
L’auteure dresse de beaux portraits du père et de la mère : un père fonctionnaire, honnête, travailleur, moderniste, il pousse sa femme, dès les années cinquante, à abandonner le voile. Il gère en douceur la fin du protectorat dans le village dont il a la charge. Selon lui, « l’empathie représentait… la forme aboutie de l’art de gouverner ». La mère, à peine instruite, proche de son mari va l’accompagner et évoluer en femme moderne et lucide. Mais après les années soixante « de très belles années d’euphorie et de liesse, et nous avions toutes conscience du chemin parcouru, les hommes faisaient carrière, tout semblait si facile, tout allait si bien » (p. 84), le désenchantement s’installe lorsque les beaux principes et les idéaux des années de lutte pour l’indépendance s’effacent peu à peu et que s’enclenche la course à l’enrichissement avec des moyens licites et illicites…
Ce livre évoque l’histoire contemporaine du Royaume, de l’entrée des troupes françaises à Oujda en 1907 jusqu’au début du vingt-et-unième siècle. Mais ce n’est pas un livre d’histoire, l’auteure ne se permet ni digressions historiques, ni parenthèses ni apartés ; n’est dit que ce qui est nécessaire à la compréhension du roman et ce qui est en cohérence avec son contenu. C’est aussi un livre plein de poésie et d’humour, qui ne sacrifie aucunement au politically correct et n’élude ni les contradictions ni les paradoxes : la colonisation a introduit la modernité, l’hygiène, l’école, certes, mais elle laisse aussi le souvenir des violences infligées, des richesses confisquées, d’exactions et d’injustice. Les « années de plomb », rappelle l’auteure, commencent bien avant la fin du vingtième siècle et le puissant ministre de l’Intérieur de l’époque n’avait pas que des mauvais côtés…
Un parfum de menthe est indéniablement un beau livre, de par l’écriture de l’auteur, certes, mais aussi de par la qualité du papier et de l’illustration de la couverture. Il aurait cependant gagné à être relu plus attentivement par l’éditeur. Mais c’est réellement un beau roman, empreint de nostalgie.
Bouchra Boulouiz est auteure, chercheure et essayiste. Elle a publié chez le même éditeur Juda, l’ambassadeur et moi (2004), Une irlandaise à Tanger au siècle dernier, Ed.Roselli (2014), etc.