Roman dérangeant sur la photographie professionnelle, photographie de la vie quotidienne et surtout photographie de la violence et des exactions que font subir les hommes à d’autres hommes en temps de guerre. Sur l’influence qu’elle a sur celui qui la regarde et sur celui qui la prend. Roman essentiel en ces temps où l’image est partout omniprésente, foisonnant dont il n’est pas aisé de rendre compte.

Une jeune photographe qui s’ennuie à couvrir les fêtes familiales, les manifestations locales et les conférences de presse des nationalistes corses, ressent l’aspect dérisoire et étriqué de sa vie professionnelle à la vue d’une photo de la chute du mur de Berlin et s’en va faire un reportage sur la guerre en ex-Yougoslavie. La découverte de l’absurdité du conflit et de ses indicibles horreurs fait qu’elle n’en sortira pas indemne. Elle retourne en Corse où elle reprend son métier de photographe de l’ordinaire et meurt dans un accident de voiture.

L’ouvrage s’articule en 12 chapitres qui correspondent aux différentes étapes de la messe de ses funérailles. Le principal narrateur est le prêtre qui sert la messe et qui est aussi le parrain de la défunte, celui qui est à l’origine de sa vocation de photographe. Un écho s’établit entre le texte et les enseignements de la Bible et des Évangiles sur le mal et la représentation du mal. Le texte est construit sur un va-et-vient continu entre les souvenirs des personnes présentes, – le prêtre, la famille et les amis de la défunte —, et les souvenirs de l’héroïne qui semble encore là. Un rythme lent, des phrases souvent longues nimbent la narration de désespérance.

Le titre du roman est une ellipse de « Dieu a fait l’homme à son image » et porte en exergue un commandement de l’Exode : « Tu ne feras pas d’idole, ni aucune image de ce qui dans les cieux en haut, ou de ce qui est sur la terre en bas, ou de ce qui est dans les eaux sous la terre… ». La fascination qu’exercent la violence et sa représentation, interpelle Antonia. La première photo qu’elle prendra et dont elle sera satisfaite reproduit l’image d’une femme terrorisée fuyant un incendie en Corse. Quelques années plus tôt, témoin complaisant d’une scène de violence, elle s’effraie de sa réaction. : « Antonia n’avait jamais encore croisé le regarde de la Gorgone mais, pour la première fois, elle avait senti sa présence et entendu siffler les serpents de sa chevelure ».

À travers les photos d’hommes et de femmes torturés, exécutés sauvagement, que l’héroïne a prises en Serbie, à travers aussi des reportages photographiques dont elle a probablement consulté les archives, reportages sur la conquête de la Tripolitaine par l’Italie, la guerre d’Espagne, la première et seconde guerres mondiales, la guerre du Viet Nam, elle prend conscience que montrer l’horreur n’arrête pas les conflits. En 1992 en Serbie, après avoir photographié une scène d’une violence et d’une sauvagerie inouïes, elle constate que ces photos ne servent à rien mais que ceux qui les prennent « adorent ça, tous et moi aussi ». Une citation de J.M.Coetzee mise aussi en exergue, rappelle que la violence est : « obscène parce que de telles choses ne devraient pas se produire, mais obscène aussi parce que, une fois qu’elles se sont produites, elles ne devraient pas être mises à la lumière du jour… ». En 1915, à Corfou, le photographe « n’a pas pris la photo d’un soldat famélique à l’agonie mais il a capté une fois pour toutes, en une seule image saisissante, le visage du siècle » (p. 125). Alors, en quittant la Serbie pour s’en retourner en Corse, l’héroïne se dit qu’ « Elle ne croit pas au péché, elle ne croit pas non plus en l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. Mais au moins à ce qu’est le monde, autant qu’il est en son pouvoir, elle, Antonia V. n’y ajoutera rien ». (p. 183.) Un livre fort à lire et à relire.

 

Jérôme Ferrari : A son image, roman, Actes Sud, 219 p. 2018