À travers cet ouvrage, Mme Lamrabet contribue à corriger bien des idées reçues sur l’islam. 

Livre à contre-courant des thèses habituellement exposées ou défendues, enrichissant et qui invite à réfléchir, musulmans et non-musulmans. Mme Lamrabet est particulièrement qualifiée pour aborder le thème « Islam et femmes, les questions qui fâchent ». 

Médecin, biologiste, elle milite depuis des années pour un islam moderne et apaisé. Nommée en 2011 à la tête du Centre des études féminines de la Rabita Mohammadia, association créée par le roi du Maroc pour la promotion d’un islam tolérant, elle en démissionne en 2018 à la suite d’une polémique suscitée par ses prises de position en faveur de l’égalité homme-femme en matière d’héritage. 

L’auteure commence tout d’abord par réfuter un certain nombre de prescriptions, d’interdictions ou de châtiments communément admis, qui sont absents du texte coranique : il en est ainsi de la lapidation de la femme adultère ; de la répudiation ; de l’interdiction pour les femmes de l’exercice de l’imamat (direction de la prière) ; du mariage d’une femme musulmane avec un non-musulman monothéiste ; de l’obligation de la femme majeure de recourir à un tuteur ou de la manière dont elle doit porter le hijab (le voile) ; du droit du musulman martyr de disposer d’un certain nombre de houris au paradis, etc. Elle fait appel à l’histoire, la sociologie, la sémantique, etc., faisant ainsi preuve d’une large culture, pour expliquer comment, peu à peu, s’est construite la thèse musulmane de la domination de l’homme sur la femme. Mme Lamrabet conteste que l’islam ait proclamé l’infériorité de la femme par rapport à l’homme, infériorité qui est, selon elle, le fruit de l’interprétation à laquelle se sont livrés les juges au Moyen Âge, fondant leurs thèses  parfois, sur des hadiths, sur des propos du Prophète, reconnus « faibles » par les compilateurs qui les ont réunis. Nombre de concepts, écrit-elle, doivent « donc être réinterprétés face aux impératifs pratiques de nos temps modernes ».

Ainsi en est-il de la notion de « ta’a », de devoir d’obéissance de la femme à l’homme, qui n’apparaît qu’au 13° siècle ! Cependant, l’auteure reconnaît que « Le Coran ne fait… que refléter l’environnement socio-économique de l’époque de la révélation. », ce qui explique le droit de l’homme à être polygame , à infliger des châtiments corporels à sa femme, le fait que le témoignage d’un homme équivaut à celui de deux femmes , qu’une sœur hérite de la moitié de la part de son frère, etc. Elle tente de renouveler l’interprétation de ces prescriptions en montrant comment le texte coranique, sans heurter les usages de l’Arabie du 7° siècle, les affaiblit en posant des conditions contraignantes à leur mise en œuvre : ainsi l’injonction à l’égalité entre les épouses serait un encouragement à la monogamie, la flagellation des époux adultères est rendue impossible par les exigences liées à la preuve…

Les explications de l’auteure sont moins convaincantes parfois, du fait que certaines prescriptions sont inscrites clairement dans le texte coranique : concernant les châtiments corporels que l’époux peut infliger à son épouse, l’auteure a beau faire appel à la sémantique, il semble clair que dans le contexte du verset, il ne peut s’agir que de frapper, sans violence, mais de frapper. De même concernant le témoignage d’une femme face à celui d’un homme, même si l’auteur rappelle qu’il ne s’agit que d’un témoignage pour dette et qu’en cas d’adultère le témoignage de l’homme vaut celui de la femme, il n’en demeure pas moins que cette inégalité est clairement inscrite dans le texte. Il en est de même de l’inégalité en matière d’héritage.

Certes, ce qui est explicite dans le texte coranique peut-être difficilement remis en cause. Cependant, il faut ici rappeler que nombre de concepts, l’esclavage, la loi du talion, etc., présents dans le Coran, sont tombés en désuétude au fil des siècles…

Ce livre instructif et reposant sur une connaissance approfondie des textes religieux, mériterait l’ouverture d’un débat serein sur ce qu’est l’islam dans le monde moderne.  

 

Asma Lamrabet : Islam et femmes, les questions qui fâchent, Casablanca, En toutes lettres, 2017, 211p.